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Le Sud-Est tunisien à la fin du XIXe siècle

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L'organisation sociopolitique de la société tribale

La société tribale dans le Sud-Est tunisien, pour des raisons d’éloignement de la capitale Tunis, centre politique du pays, n’a retenu l’attention des Beys que lors des saisons de collecte d’impôts ou des voyages de la famille beylicale pour Tripoli ou bien pour effectuer le pèlerinage à la Mecque. C’est ainsi que, remarquant l’insécurité qui régnait dans la Jeffara tuniso-tripolitaine, à la suite d’une expédition à Tripoli, Mourad Bey décida de construire en 1673 un Bordj de surveillance dans l’actuelle ville de Benguerdane. Habité par les Nouail dans un premier temps puis -en 1770- par les Touazines, il fut choisi par l’administration coloniale française (en 1894) comme poste militaire et occupé par un détachement du Maghzen.

L’une des ressources législatives de la société tribale du Sud-Est tunisien fut « Hilf El Fdhoul » ou « pacte des vertueux » (en 1837) qui organisa les aspects sociopolitiques et « institutionnels » (législatifs, juridiques et exécutifs) tribaux et intertribaux au sein de la confédération de Ouerghema.

Ce pacte est ratifié à une époque où le processus de colonisation du territoire algérien fut entamé (1830) et où un rapprochement est constaté entre la régence de Tunis et la France. À cette époque, la France n’a cessé de soutenir les Beys de Tunis dans leur projet d’indépendance vis-à-vis de la tutelle Ottomane, c'est-à-dire de passage du statut de régence turque (« Iyeleh tounissieh ») vers celui de royaume (« Memlekeh tounissieh »).

Dans une lettre adressée à M. Tissot, ambassadeur de la république française à Constantinople, en date du 18 avril 1881, M. Barthélemy-Saint-Hilaire, ministre des Affaires étrangères, expose à son auxiliaire diplomate la non-reconnaissance historique de la France d’une quelconque souveraineté territoriale de la Porte ottomane sur la régence de Tunis en affirmant que depuis l’instauration de la dynastie Husseinite (par Hussein Bey en 1705) « l’indépendance des Beys de Tunis s’est affirmée par la possession non interrompue du trône, par la conclusion de traités avec presque toutes les puissances de l’Europe, par le refus de la Porte de recevoir aucune réclamation relative aux pillages des corsaires tunisiens. » Et il poursuit dans cette missive : «  Le roi Louis XV en 1742, la Convention nationale à la date du 6 prairial an III, le Gouvernement de la Restauration en 1824, celui de juillet en 1830 et en 1832, l’Empereur Napoléon III en 1861, traitèrent avec les Beys de Tunis comme avec des princes exerçant le pouvoir souverain dans sa plénitude».

Parallèlement à la dynamisation des échanges commerciaux entre les deux pays, des accords furent, désormais, conclus entre la France et la régence de Tunis sans demander l’aval de la Sublime Porte. L’un de ces accords secrets fut l’octroi par le roi de Tunis Hussein Pacha Bey II pour la France (en date du 8 août 1830) de la colline de Carthage en vue de la construction de l’église St Louis. D’autres menaces proviennent des îles méditerranéennes proches de la régence.  « Les Rois de Sardaigne et des Deux-Siciles conclurent le 28 mars 1833 un traité d’alliance contre les États barbaresques et notamment contre Tunis ». Mais les troubles les plus inquiétants pour la population nomade de la Jeffara tunisienne (« Jeffara tunisienne » est donc l’équivalent du Sud-Est tunisien) sont ceux survenus en Tripolitaine au mois d’avril 1835 et qui ont nécessité l’intervention de l’armé ottomane. « Une division turque se présenta devant Tripoli et occupa sans résistance la ville et les forts. Sidi-Ali, qui régnait nominalement, fut déposé, et un fonctionnaire ottoman le remplaça avec le titre provisoire de kaïmakam. Tout le littoral fut bientôt occupé militairement à peu près sans résistance ».     

À cette époque la Jeffara tunisienne représentait un territoire propice à tout conflit qui pourrait opposer la Sublime Porte -par l’intermédiaire de la régence de Tripoli- au régent de Tunis ou pour contrer les convoitises françaises envers le territoire tunisien.

 En effet, après avoir procédé à une première délimitation des frontières tuniso-libyennes en 1815, Youssef, pacha de Tripoli, fera connaître en 1840 sa souveraineté sur Ghadamès.

Dans ce contexte de bouleversements géopolitiques à l’échelle régionale et internationale, survient cet accord conclu entre les tribus qui composent la confédération de Ouerghema : « Hilf El Fdhoul » ou « pacte des vertueux », lequel a permis à la confédération de Ouerghema de réaffirmer son entité politique et surtout socio-territoriale. La réanimation de leur ancienne structure confédérale du XVIe siècle survient dans presque les mêmes conditions qui ont marqué des époques antérieures, notamment suite à la guerre des « Çoffs » au XVIIIe siècle, où troubles et conflits sous-jacents secouaient la région.

Le pacte a permis la réactivation du circuit de commerce transsaharien qui passe par Ghadamès. Un essor de la Jeffara tunisienne autour de la ville des Gsour (la ville de Medenine) fut vite ressenti. À cette époque Medenine était la capitale de la confédération d’Ouerghema où chaque tribu possédait son Gasr. On y comptait une trentaine de Gasr réunissant un total de 6000 ghorfas destinées au stockage des aliments et du matériel agricole et domestique (voir photos). En plus une minorité de la population s’est installée aux alentours des gsour, s’adonnant à des activités artisanales, commerçantes et agricoles. L’activité artisanale comprenait la confection des Ouazra par des tisserands venus de Djerba, la vannerie à base d’alfa tenue par les Hwaya (berbères et khzour), la forge tenue par des Djerbiens et d’anciens esclaves affranchis, la menuiserie et l’extraction d’huile d’olives dans des huileries traditionnelles. L’activité agricole a attiré certains Mednini (de la tribu maraboutique de Mednine) qui se sont mis à planter aux abords des Oueds Gueblaoui et Gharbaoui de Medenine autour de quelques puits de surface. « On raconte qu’à l’arrivée des troupes françaises d’occupation, la tribu de Medenine campait sous la ville et comptait 250 tentes et 75 cavaliers. C’était déjà le grand marché du sud ; les produits de contrebande y étaient échangés à côté des produits du pays.

Les activités marchandes et agricoles à Medenine au début du XXe siècleLes activités marchandes et agricoles à Medenine au début du XXe siècle

Vue générale de la ville gsourienne de Medenine (datant du XVIIe siècle) au début du XXe siècleVue générale de la ville gsourienne de Medenine (datant du XVIIe siècle) au début du XXe siècle

Le Conseil tribal ou «Miâd»

Le «Miâd» était la plus haute instance qui réglait la vie socio-économique, légiférait et réglait les conflits internes en utilisant le droit coutumier «Al Ôrf » (représenté par Cheikh Ôrf) et exécutait ses décisions par la «Charatiya» (unité de cavaliers) commandée par le Cheikh Charatiya qui représentait le pouvoir exécutif du «Miâd» de la tribu.

À la tête de chaque fraction (cheikhat) se trouvait un Cheikh qui présidait le conseil (Miâd) de cette «Cheikhat» et représentait celle-ci dans le «Miâd» de la tribu.

À la tête de chaque tribu était nommé un Cheikh désigné par les membres du Miâd et où les critères de sagesse, d'âge, de puissance quant à la fraction d'origine, et de notoriété en général, étaient déterminants dans le choix des membres du «Miâd» ; on parle de Cheikh Touazines, Cheikh Accara, Cheikh Ouderna. Théoriquement toute personne majeure peut assister au Miâd, mais dans la pratique il ne se compose que de quelques personnes (notables) qui représentent les grandes familles. Généralement le «Miâd» se composait de neuf notables au maximum. Certes, les membres de la tribu pouvaient participer aux débats lors de la tenue de réunions, mais on n’a pas de traces écrites sur leur degré d’implication dans la prise de décisions.  

Le Miâd se réunit pour prendre les décisions qui intéressent la vie de la tribu :

  • collecte d'impôts.
  • fixation de la date et des lieux de la transhumance.
  • fixation de la date et des lieux des labours.
  • décision de la mise en défens («Gdel») d’une terre de parcours.
  • résolution des tensions internes entre les «Cheikhats».
  • nature des relations avec les tribus voisines.

Ses décisions étaient définitives et astreignantes pour tous les membres de la tribu. Toute rébellion de la part d’un membre de la tribu sur les décisions du «Miâd» était sévèrement réprimée par une décision qui peut aller jusqu’au refoulement du rebelle de la vie commune de la tribu.

L’acte ratifiant la composition et les fonctions du Cheikh du « Miâd » et du Cheikh Charatiya, connu sous le nom de « Hilf el Krachoua » et établi en 1280 de l’hégire (1863) par le « Miâd » de la tribu des Krachoua (Ouled Abdel Hamid, à Tataouine), nous fournit un exemple significatif pour toute la région du Sud-Est. Le procès-verbal notifie l’élection du Cheikh Abi el Kassem Ben Abi Saïd par les membres du « Miâd », au même temps ils ont nommé quatre Chaouchs représentants les sous fractions de la tribu (les Jedaїna, les Amaїra, les Khenèyna et les Ouled Ali) à la fonction de Cheikh Charatiya afin d’épauler le Cheikh dans ses fonctions.

Parmi les «Miâd» de la confédération de Ouerghema, c’est celui des Touazines qui a perduré le plus longtemps en dépit des assauts organisés par l’administration coloniale française : cette institution tribale tenait secrètement des réunions jusqu’au début du XXe siècle.

Les campagnes militaires françaises pour l’occupation du Sud-Est tunisien (1882-1883)

Depuis l’avènement du colonialisme français en Tunisie (1881), les autorités militaires ont projeté de soumettre les Tribus au Sud tunisien -en rébellion contre leur présence- à leur autorité. À travers la soumission des territoires nomades, l’occupant français vise à contrôler les réseaux du commerce saharien qui lient les Tribus du Sud à la Tripolitaine turque et musulmane.

Plusieurs actions seront entamées par les autorités coloniales suite à la déclaration du territoire de l’Extrême-Sud tunisien comme territoire militaire dépendant du Cercle de Gabès, dans le but de « pacifier » les « confins tuniso-tripolitains ».

Au fait, l’occupation française de la Tunisie passera par le même réflexe hérité des administrations centrales qui se sont succédé en Tunisie, depuis l’époque romaine, celui du contrôle du territoire des tribus nomades insoumises au Sud tunisien.

Dans la politique mise en œuvre par les autorités coloniales françaises pour « pacifier » le Sud de la régence, ils réussiront à confiner le terroir nomade dans un territoire bien délimité, au travers du traçage des lignes frontières entre la Tunisie et la régence tripolitaine (du 19 Mai 1910). La puissance coloniale réussira à reconvertir cet espace nomade en espace plus ou moins urbanisé et inséré dans une économie du marché étroitement liée à la France ; les conquêtes militaires marqueront le début de cette nouvelle ère.

Les campagnes militaires françaises dans le Sud-Est tunisien

Trois campagnes militaires françaises étaient entamées pour la colonisation du territoire des Ouerghema, entre mars 1882 et novembre 1883.

La première campagne militaire 

 Elle fut commandée par le général Jamais et le général Philebert (mars-juillet 1882). Alors que la délimitation de la frontière tuniso-tripolitaine n’est pas encore réglée entre la France et la Turquie, le gouvernement français a ordonné la conquête du Sud-Est tunisien, tout en recommandant aux militaires français d’éviter à tout prix que leurs manœuvres militaires ne portent atteinte aux relations entre la France et le gouvernement turc de Tripoli.

Le général Jamais, parti de Gabès le 30 mars 1882, à la tête de 2500 hommes, est arrivé à Medenine le 2 avril ; le général Philebert, parti de Gafsa le 25 mars, a fait sa jonction avec les colonnes de Jamais à Medenine le 8 mai 1882. Selon les rapports du commandement militaire français, la plupart des Jbalia ont fait leurs soumissions aux nouveaux maîtres de la Jeffara (les 19 et 21 avril).

Les Haouïas, ont fait les frais de cette première campagne puisque leurs récoltes ont été brûlées, leurs arbres coupés, et leur Gasr razzié (Gasr El Jouamâ) par un détachement de la colonne du Général Jamais.

Dans un rapport confidentiel, adressé le 12 mai 1882 au ministre des Affaires étrangères, décrivant la situation morale et politique du pays, le Résident de la république française (Cambon) nous livre toute la stratégie adoptée pour la colonisation de la Jeffara : «quant aux Ouerghemas qui occupent toute la région comprise entre le Djebel Metmata et la frontière de la Tripolitaine au Sud et à l’Est, ils constituent la tribu la plus guerrière et la plus indépendante de la Tunisie. Ennemis héréditaires de la grande tribu tripolitaine du Nouaïl qui les avoisine vers l’Est, leur puissance (ils peuvent mettre sur pied près de dix mille guerriers) les faisait et les fait encore considéré aujourd’hui comme les véritables gardiens du Sud de la Tunisie, comme la masse couvrante destinée à arrêter les incursions venant du territoire tripolitain, aussi le Gouvernement tunisien a-t-il toujours traité avec beaucoup de ménagement les Ouerghemas, les exemptant même d’impôts lorsque cette mesure gracieuse était nécessaire pour les retenir dans le devoir. Bien que nomades, les Ouerghemas ont des nombreuses cultures dans la région comprise entre Ksar Medenine, la ligne des Ksours qui sépare leur pays du Nefzaoua et la frontière tripolitaine. Il est important donc, pour assurer la pacification du Sud, d’obtenir d’abord la soumission des deux grosses agglomérations dont je viens de parler et de se servir ensuite d’elles pour déterminer la soumission des insurgés du nord de la Régence. Pour atteindre ce but, il fût décidé que deux colonnes, l’une partant de Gabès, l’autre de Gafsa, se porteraient au milieu des Ouerghemas à Ksar Medenine et tous les Ksours voisins autour desquels sont leurs réserves d’eau pour l’été, leurs silos, leurs cultures, leurs oliviers et leurs palmiers. Le pays devait être occupé avant l’époque de la moisson afin d’empêcher ces tribus de mettre en sûreté leurs récoltes sans avoir au préalable reconnu notre autorité».

La Deuxième campagne 

Elle fut conduite par le général Guyon-Vernier, entre décembre 1882 et février 1883. Il a disposé de deux colonnes : l’une est partie de Sousse et Sfax par mer et a débarqué à Zarzis le 10 décembre 1882 afin de sécuriser les environs d’Oued Fessi, l’autre est partie de Gabès le 15 décembre 1882 sous le commandement du colonel La Roque et s’est dirigée vers Medenine.

Le colonel La Roque a pour mission la soumission de la tribu des Ouerghema qui fournit un appui logistique et moral aux insurgés de la première campagne, surtout dans la partie Sud de l’Oued Fessi, zone où les militaires français s’interdisent des manœuvres militaires à cause de la proximité de l’armée turque en Tripolitaine libyenne.

Après avoir obtenu la soumission des sédentaires du « Jbel » et de la Jeffara, La Roque a reçu l’ordre de se diriger vers les territoires des Ouderna (Tataouine) et des Touazine afin de soumettre les tribus nomades des Ouderna et d’Ouled Chehida et des Ouled Hamed et Khalifa (Touazines).

Afin d’assurer, rapidement le succès de sa campagne, le colonel ne se gêne pas de pratiquer razzia et prise d’otages contre les tribus nomades des Ouerghema dont il prétend combattre les valeurs. Le 5 février 1883, La Roque quitte la région tout en laissant la compagnie du capitaine Rebillet à Métameur.

La troisième campagne (entre octobre et décembre 1883)

Elle s’est appuyée sur une stratégie de harcèlement et de pression constante sur les tribus touazine insurgées contre l’autorité militaire française, principalement les Ouled Hamed et Ouled Khalifa, tout en respectant la consigne de mai 1882 qui concerne la non violation de la « zone tampon » entre le Sud de l’Oued Fessi et la Tripolitaine.

Par leur regroupement dans la zone entre l’Oued Fessi et la Mokta, les Touazines, représentaient une menace pour la présence française dans la région et une entrave pour le projet français de rapatriement de la Tripolitaine des dissidents tunisiens (de la première révolte du Nord et du Centre du pays) en Tunisie.

Les assauts qui ont été menés par le colonel La Roque et le commandant Varloud sur les terrains de labour des Touazines en fixant un camp de 500 soldats dans la région d’el Ouhamia, pour les empêcher de semer, n’a pas donné les effets escomptés.

Le camp des Zouaves à Benguerdane pendant la campagne militaireLe camp des Zouaves à Benguerdane pendant la campagne militaire

Dans un premier temps, ces différentes campagnes ne réussirent pas à soumettre ces tribus, car dans leurs va- et- vient incessants entre la zone tampon et l’intérieur libyen, elles étaient à l’abri de toute poursuite militaire de grande envergure. Leur position dans la rébellion s’en est trouvée consolidée et leur mode de vie nomade d’autant mieux rétabli : les voilà exemptées de tout impôt et ne reconnaissant aucune autorité.

La polémique qui s’en suivra entre les militaires et les autorités politiques françaises sur la situation d’insécurité qui règne dans le Sud-Est tunisien, trouvera sa solution dans la reprise de l’idée turque sur la récupération de ces tribus rebelles organisées en tribus Maghzen en contrepartie de leur exemption d’impôts. Les Ouderna acceptent l’accord le 11 novembre 1884, les Touazines, plus réticents, l’accepteront à la fin de l’été 1885.

Cette nouvelle expérience ne durera pas longtemps, vu le comportement de ces tribus maghzen qui obéissaient beaucoup plus aux vieilles traditions nomades qu’aux régimes hiérarchisés et disciplinés. En reprenant l’étude faite sur la région par le capitaine Rebillet (11 mars 1886), le général La Roque indique en s’adressant à son État-major général : «L’examen du rôle qu’à joué le gouverneur de l’Arad comme commandant des maghzen, et les résultats qu’il a obtenus sont de nature à faire rejeter toute proposition tendant à grandir encore le rôle militaire de ce fonctionnaire, et à organiser pour lui une troupe munie d’armes perfectionnées.» ; dans le chapitre VII, concernant la délimitation, il ajoute : «Les Touazines (Rezours et Oulad Bouzid) maintiennent le trouble dans le Sud, par leurs déprédations en Tripolitaine, et attirent des représailles. Les Ouderna font de même, et leur état de désobéissance est plus accentué encore.», La Roque donnera des recommandations à son État-major  qui seront appliquées plus tard : «Pour maintenir les Touazines, nous possédons le poste de Metameur, qui a sous sa main Ksar Medenine, où sont concentrés tous les approvisionnements de ces tribus. Si le Gouvernement du protectorat veut déléguer à l’autorité militaire les pouvoirs nécessaires :

  1. pour pourvoir à l’organisation de Medenine
  2. à celle des Maghzen
  3. lui confier la direction de cette force auxiliaire en dehors de toute participation de l’Agha de l’Oudjak, et en la munissant des pouvoirs répressifs suffisants…
  4. pour ce qui concerne les Ouderna, on opérerait dans les mêmes conditions, en créant un avant-poste en un point convenablement choisi, pour peser utilement sur le pays

Dans le rapport de prise de commandement du Cercle de Medenine en 1989 par le commandant Rebillet, il a été constaté que, à la fin de 1887, on signalait la mort sur la frontière de quatre cents Tunisiens tués dans des engagements avec les Tripolitains.

La France mettra fin à cette expérience au début de l’année 1888, date à laquelle elle instaurera l’administration militaire sur le territoire des Ouerghema.

Le ministre de la Guerre donna l’ordre pour l’occupation militaire du Sud de la régence le 30 avril 1888 : «Les dispositions arrêtées par le Ministre de la guerre, à la date du 30 avril dernier, pour l’occupation du Sud de la régence de Tunis comprenaient la création de nouveaux postes à Zarzis et à Foum Tataouine, ainsi que l’aménagement de celui de Metameur qui, plus en arrière, formait comme une réserve de nos avant-postes dans cette région… ».

Ainsi, le poste de Métameur fut transféré à Medenine en juillet 1888 et en 1989 les postes de Zarzis et de Tataouine furent rattachés au Cercle de Medenine.

Camps militaires à Foum Tataouine au début du XXe siècleCamps militaires à Foum Tataouine au début du XXe siècle
Camps militaires de Medenine au début du XXe siècleCamps militaires de Medenine au début du XXe siècle

 Jusqu’à 1894 les Touazines jouissaient, sur leur territoire incontrôlé par les services de renseignement, d’une activité agricole et pastorale libre de toute contrainte et assuraient le stockage de leurs réserves en céréales sur place, dans des silos souterrains appelés « Retba » au lieu de les stocker dans leur ancien grenier à Gasr Medenine (contrôlé par les services militaires).   

Mais Les autorités militaires, craignant l’indépendance de plus en plus accru des Touazines, ne tardèrent pas à sentir «la nécessité (…) de retenir nos tribus dans leurs limites en créant au milieu de leurs terrains de parcours un poste fortifié qui servit de point d’appui à un Maghzen sérieusement organisé

En 1894, le Bordj de Benguerdane (construit en 1673 par Mourad Bey à la suite d’une expédition à Tripoli, habité par les Nouail et repris par les Touazines en 1770) fut choisi comme poste militaire, de par sa position stratégique au milieu des terrains de cultures des Touazines. Le bâtiment qui offrait tous les atouts d’un contrôle militaire efficace a été occupé par un détachement du Maghzen.

Les terrains qui entouraient le Bordj furent allotis pour être repartis, malgré les protestations des propriétaires Touazines qui réclamaient leurs propriétés par le droit d’usage.

Les autorités coloniales ont évoqué une jurisprudence qui exigeait un acte de propriété sur les terrains de culture en irrigué mettant les usagers des terrains de parcours ou de cultures saisonnières dans l’impossibilité de satisfaire cette condition. «La jurisprudence adoptée lors de l’examen de ces revendications permit d’écarter les prétentions. Il fut en effet érigé en principe que les droits d’usages seraient ils autorisés par une longue pratique ou justifiés par des actes de notoriété ne sauraient constituer en ce qui concerne les territoires de la région frontière un droit à la propriété de fonds et qu’en laissant de côté la propriété de ceux de ces terrains qui sont susceptibles seulement de servir à la pâture ou au labour, l’état ne pouvait hésiter à réclamer cette propriété sur les surfaces irrigables à l’aide des sources ou de puits à tirage et sur les terrains de vergers sur les points où les indigènes se proposeraient d’entreprendre des cultures régulières

Création de nouveaux marchés dans la zone frontalière tripolitaine:

Les militaires français ont projeté, afin de contrôler les routes commerciales sahariennes autour de Ghadamès et dans la région tripolitaine, l’aménagement de nouveaux centres urbains où le marché tiendrait une position centrale.

Ainsi fut créé le marché (souk) de Tataouine (voir photo ci-après), composé de quelques dizaines de boutiques tenues par des marchands djerbiens et par des Juifs et des commerçants et artisans de Douiret et de Chenini.  Par ce fait, l’ancien souk de Douiret, qui se trouvait dans la zone d’influence des Ouderna, se trouva marginalisé au profit d’un nouveau marché situé dans la plaine et contrôlé par la nouvelle puissance française «Ce sont les officiers des Affaires indigènes qui ont créé le Marché de Tataouine, situé près du Camp, et dont l’importance s’accentue chaque année ; les Souks sont occupés par des marchands djerbiens et par des Juifs ; mais, contrairement à ce qui se passe ailleurs, le Juif du Sud ne rançonne pas trop les clients ; il échange les produits du pays, les « Oussada », les « Bekhnoug » et les « Tadjira » (voiles brodés de femmes fabriqués à Douiret), et la cotonnade, contre les grains, les peaux et les armes apportés par les Caravanes tripolitaines. Autrefois, les Touareg fréquentaient ce marché ; depuis l’affaire de Morès, ils s’abstiennent d’y venir, les cavaliers du Maghzen ayant pris l’habitude de les recevoir à coup de fusil.

Le marché de Benguerdane (voir photo ci-après) sera construit autour du vieux Bordj, le Service des Affaires indigènes délimitera en 1895 (sous le régime du décret beylical des terrains à oliviers de Sfax) un polygone de 174 hectares qui formera les premiers lots de jardins et des terrains à bâtir (marché et village).

Devant le refus des Touazine de s’associer à cette entreprise faite au détriment de leur droit de propriété sur leurs meilleurs terrains de culture, l’autorité militaire fera appel aux commerçants djerbiens et aux Accara de Zarzis pour venir s’y installer.

A la fin de l’année 1896, la totalité des terrains allotis étaient mis en culture et 100 boutiques furent construites. Ce résultat était obtenus grâce à l’engagement des populations voisines des Touazine : les Djerbiens, les Accara, les Djelidet (Tataouine), les Hrarza (Metameur) «Sur trente-six concessions de culture délivrées le 18 Février 1896, Vingt-trois avaient été remises à des Accara, des Djerbiens, des Djelidet ou des Hrarza. Treize à des Touazine parmi lesquels on comptait sept Cheikhs ou cavaliers et seulement un contribuable libre de toute atteinte avec le Gouvernement. Des cent boutiques construites au marché, quatre-vingt-douze avaient été édifiées par des étrangers, huit seulement par des Touazine, tous fonctionnaires tunisiens ou agents à notre solde.»

L’objectif de l’administration militaire dans la région frontalière était l’introduction d’un mode de vie sédentaire (autour du marché, du village, des terrains de culture en irrigué) dans ce territoire à tradition nomade. «Tout autour du marché s’est élevé un village. On y compte actuellement une trentaine de maisons, cent six ateliers de tisserands, six moulins, et boulangeries, quatorze ateliers de forgerons et une douzaine d’artisans divers. Les tisserands travaillent de mai à octobre et regagnent ensuite Djerba ; les Touazines viennent aux Souks pour vendre leurs produits, puis retournent dans leurs campements ; seul les juifs et quelques artisans habitent la localité pendant l’année entière».

Carte postal de l'époque représentants les marchés de Benguerdane Carte postal de l'époque représentants les marchés de Benguerdane
Carte postal de l'époque représentants les marchés de Tataouine Carte postal de l'époque représentants les marchés de Tataouine

Bibliographie

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  • Violard Emile. L’Extrême-Sud tunisien, Rapport à Mr. le Résident Général S.Pichon. Société anonyme de l’imprimerie rapide de Tunis, 1905, 89 p. SHD, Tunisie, 2H49, D6 ; p. 36.

AVIS

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    ASECON (Italie)
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    ONM (Tunisie)
    Office National des Mines
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    PGSA SAR. (Italie)
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